Liberté d’expression au travail : peut-on tout dire ?

La liberté d’expression est un droit fondamental reconnu par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. La triste actualité du mois de janvier en France nous rappelle que ce droit peut d’une manière générale être fragilisé. Quant est-il dans les entreprises ?


Messageries, SMS, échanges verbaux, le salarié est protégé par les articles L.120-2 et L.461-1 du Code du travail.


L’article L.120-2 : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »


L’article L.461-1 : « les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. Cette expression a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’action et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise. Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement. »

Liberté d'expression au travail, pour qui et comment ?

La liberté d'expression au sein de l'entreprise concerne tout le monde, quelques soient le type de contrat de travail, le niveau hiérarchique, dans le privé, le public comme dans le milieu associatif.

Elle est généralement organisée par les délégués syndicaux sous forme d'accord passé entre l'employeur et les organisations représentatives. Si aucun accord n'est prévu, l'employeur doit organiser au moins une fois par an une négociation afin de déboucher sur un accord.

L'accord doit devra développer les thèmes suivants :

  • Le cadre, modalités, fréquence et durée des réunions permettant à tous d'user de la liberté d'expression
  • Les conditions permettant au salarié de jouir de sa liberté d'expression
  • Les mesures à mettre en place pour garantir la liberté d'expression au travail
  • L'étude des clauses sur la liberté d’expression définies (ou à définir) dans le règlement interne

Langue de bois s’abstenir...

Toutefois l’expression « la liberté s’arrête là où commence celle des autres » prend tout son sens lorsque le salarié est accusé d'abus. Il peut être sanctionné par un avertissement ou un licenciement lorsque les propos qu'il a tenus le justifient. Que se passe-t-il  lors d'un différend avec un membre de la Direction ? C’est là où tout se complique. Le supérieur hiérarchique supporte pas les critiques à l’égard des décisions prises. Il peut alors faire valoir sa position en avançant que les propos de son salarié portent atteinte à la réputation et à la crédibilité de l'entreprise.

 

Voici une histoire inspirée de faits réels : la scène s'est produite en janvier 2011 au siège parisien d'une entreprise internationale. Un salarié a été licencié à la suite d’un échange de courriels quelque peu acerbes : l’employé a vivement manifesté son désaccord auprès d’un manager du pôle clientèle sur sa manière de gérer des litiges. Il s’est  néanmoins exprimé sans termes injurieux ou diffamatoires. Le mail se concluait par « !!! ». L’incident est arrivé je jour même aux oreilles de la Direction. Les trois points d’exclamation à la fin du texte auraient été interprétés comme « excessifs ».  Le salarié a été sanctionné par un avertissement. Portant l’affaire devant le Comité d’Entreprise (et non devant une autorité publique), le collaborateur s’est vu licencié. Le motif invoqué était : « faute grave due à un comportement agressif et irrespectueux envers le management ».


Exemplaire dans son travail depuis dix-sept ans, le salarié n’a jamais fait parler de lui négativement. Était-il trop perfectionniste ? Peut être. L’employeur avait-il le droit de le renvoyer pour des propos « musclés » envoyés par courriel lors d’un moment d’énervement ? Le licenciement doit être motivé par une cause réelle et valable sans occulter la faculté d’exprimer en toutes circonstances ses opinions.

Le salarié n'a pas souhaité porter plainte. Il a retrouvé un emploi ailleurs peu de temps après.

 

Un autre salarié de cette société s’est exprimé en ces termes : « Nos conditions de travail se sont considérablement dégradées depuis deux  ans. La politique du chiffre pend au dessus du personnel comme une épée de Damoclès. La pression  est violente et constante, les objectifs inatteignables. Une majorité de personnes a  un salaire de 1 200 € nets sans aucune prime, alors que les bénéfices ont augmentés sur l’année 2009. Le spectre de la sanction est omniprésent, pour des paroles justifiées, pour un rien. La haut [la Direction], ils croient que mettre la pression incite à travailler, mais c'est faux. Les gens sont démotivés, on les pousse  vers la sortie. C’est honteux ! »

Liberté compliquée... Mais liberté quand-même

La messagerie du salarié est strictement personnelle, et ne peut être utilisée par l’employeur pour le licencier. Les écrits peuvent néanmoins se retourner contre leur auteur : l’employeur peut accéder aux messages et les lire, si ceux-ci ne sont pas identifiés comme privés (Cour de cassation 15 décembre 2010 n° 08-42486). Le salarié ne  sera  -théoriquement- pas sanctionné (Cour de cassation  5 juillet 2011 n° 10-17284). Un destinataire peut également aller se plaindre à la Direction comme dans notre cas de figure. C’est là où tout se complique : les messages dont le contenu « est en rapport avec l'activité professionnelle » peuvent caractériser un abus de la liberté d'expression et être ainsi sanctionnés par l'employeur. Le manager à qui était adressé le contenu litigieux a donc été appuyé par la Direction lorsqu’il lui a transmis.

Et le patron ?

On ne le dit jamais assez : le Directeur Général comme les chefs de secteurs ne peuvent bien-sûr pas tout se permettre, à commencer par les insultes et les humiliations. Les délégués du personnel sont élus pour apaiser les conflits : ils peuvent solliciter l'inspecteur du travail.


Dans une situation extrême, le conseil des Prud'hommes est compétent pour trancher. La saisine est gratuite en France, et ne nécessite pas de se faire représenter pas un avocat. En revanche, la procédure reste fastidieuse. Il est conseillé de consulter préalablement la convention collective de l'entreprise, et d'étudier la causalité d'une action défavorable de l'entreprise adressée à un salarié. Cette démarche préviendra des éventuels déboires.

Un propos insultant  en rapport avec l'activité professionnelle marque la limite de la liberté d'expression. L'opposition d'un salarié à une décision ou une stratégie du management ne peut en principe faire l'objet d'une sanction. De toute évidence, on ne peut pas tout dire au travail, même lorsqu'on estime être en légitimité. Cela dépend du contexte et de la culture d'entreprise. Cependant, les moyens de défense des Prud'hommes sont là pour faire respecter les droits de tous.

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